20/09/2017

La chambre des époux



« A mes yeux Marie était la seule personne autour de la table à être en vie. Les autres ne l’étaient pas, les autres étaient tous morts, et ils étaient tous morts de n’avoir pas frôlé la mort, et de n’être pas revenus à la vie, et de n’avoir jamais compris de l’intérieur ce que cela signifiait d’être en vie. Être revenue à la vie avait fait que Marie était vraiment en vie, vraiment vivante. Non pas seulement en vie mais vivante, c’est-à-dire en vie dans sa vie, et pas morte dans sa vie, et pas assoupie dans sa vie, et pas distraite et oublieuse de sa vie dans sa vie, comme le sont en réalité la plupart des gens et ce soir-là, lors de ce dîner, c’était flagrant. » 


           La chambre des époux est le récit d’une expérience personnelle : celle de l’écrivain et de sa femme, Margot, lorsque celle-ci a eu un cancer du sein. Dès la première ligne on entre dans le vif du sujet : l’annonce du cancer, le séisme émotionnel qu’il provoque, les nombreuses questions que le malade et ses proches peuvent se poser quand une existence est ainsi mise au conditionnel. 
           La quatrième de couverture nous vend l’histoire de Nicolas et Mathilde, couple fictionnel représentant le couple de l’auteur et de sa femme. Ce couple fictif intervient à partir de la moitié du livre, la première moitié étant consacrée au couple réel : l’annonce, le traitement, la rémission, la guérison. Et la redécouverte de la relation de ce couple. Cette maladie a été l'occasion pour ce couple - si on peut en parler ainsi - de vivre autrement leur relation et de s'apporter davantage l'un à l'autre:  l'auteur devant avancer sur son roman et délivrant chaque soir à sa femme les pages qu’il a écrites la journée, et Margot se battant, recevant chaque soir les pages écrites par son mari comme un médicament qui lui permettrait de se battre encore. Le couple fictif vit en tout point les mêmes choses que le couple réel. A un détail près: le narrateur n'est plus écrivain mais compositeur et, chaque soir, c'est ce qu'il a écrit la journée qu'il compose à sa femme, dans l'intimité feutrée de leur chambre.

          En ce qui concerne l'écriture, il y a des fulgurances, je trouve; un tourbillon d’existences et d’actions quand on est attentif à la manière dont les choses sont amenées et écrites. Ce qui me vient à l’esprit, c’est que par cette construction, cette narration, ces mises en abyme, Eric Reinhardt arrive à transformer, à transposer son histoire vers quelque chose de plus universel. Du point de vue des personnages, j'ai commencé à avoir un avis mitigé sur le personnage principal. La citation mise au début de l’article représente pour moi ce moment où tout bascule dans le récit: l'auteur fait la connaissance de Marie lors d'un dîner avec des amis. On lui a dit qu’elle-même avait survécu à un cancer qu’on lui annoncé incurable. Le narrateur ne peut s’empêcher d’observer Marie, d’en être ému. Ils deviennent amis, gardent contact. Marie a une rechute. Le narrateur ne peut s’empêcher d’aller auprès d’elle, de vivre avec elle les quelques mois qu’il lui reste à vivre. C’est cela qui m’a personnellement gênée à ce moment-là du récit et le narrateur m’est du coup apparu comme un personnage, pas pleurnichard, mais il me donnait l’impression de supporter toute la misère du monde sur ses épaules. Sans vouloir entrer dans les détails, sa fascination et son amour pour Marie le pousse à prendre une décision qui m'a paru trop invraisemblable, trop incroyable. Mais l'histoire qu’ils vivent donne aussi quelque chose de très beau. C’est tout ce qui fait l’ambiguïté de ce roman pour moi. Il est à la fois fantastique par sa construction, son verbe, toute les réflexions délivrées sur le fait de vivre, d’aimer. Des réflexions qui n’auraient peut-être jamais été aussi poussées si le narrateur n’avait pas vécu le cancer d’un proche. Mais il tend aussi vers l'invraisemblable. C'est peut-être cela qui fait la beauté de ce texte.


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